Chanson Française
 

 

Star Academy et chanson française

 


  Auteur Joëlle Deniot,

Professeur de Sociologie, Université de Nantes, membre nommée du CNU


Nous sommes ici  bien  loin de la chanson réaliste, dans l’approche d’une télé–réalité misant sur une  chanson de divertissement et sur l’illusion d’une sortie d’anonymat à la portée de tous.

Si les maîtres du jeu médiatique et économique ont incontestablement su attirer un engouement de multitude en faveur de ces zooms voyeuristes sur la fabrication et sur le stress de pop stars inexpérimentés, la candidate de la Star Academy 2005,  Magalie Bonneau, de son nom de scène Magalie Vaé, candidate hors norme, réussit à son insu à brouiller les cartes.

Gagnant contre toute attente des investisseurs, le cœur d’un public dépassant le public ciblé par l’émission, sa victoire reposa la question désormais oubliée d’un désir populaire de chanteuses moins attendues, moins lisses exerçant leur talent sur répertoire de chansons et variétés françaises.

 
Nous sommes ici  bien  loin de la chanson française,  Si les maîtres du jeu médiatique et économique ont incontestablement su attirer un engouement de multitude en faveur de ces zooms voyeuristes sur la fabrication et sur le stress de pop stars inexpérimentés, la candidate de la Star Academy 2005,  Magalie Bonneau, de son nom de scène Magalie Vaé, candidate hors norme, réussit à son insu à brouiller les cartes.

Gagnant contre toute attente des investisseurs, le cœur d’un public dépassant le public ciblé par l’émission, sa victoire reposa la question désormais oubliée d’un désir populaire de chanteuses moins attendues, moins lisses exerçant leur talent sur répertoire de chansons françaises.


Magalie Bonneau, outsider et lauréate

Il y eut cette année, face à la grande entreprise télévisuelle du  lancement des pop star, une véritable levée de l’opinion publique qui mérite que l’on s’y attarde. S’il est dans ce texte plutôt question de marketing culturel et non de l’âme des chansons, il est toutefois intéressant de relever cette vague de refus du produit imposé ; il est intéressant d’en interroger la valeur indicielle. Autre réalité d’un autre réalisme … Cet article sous une forme un peu différente est paru dans la newsletter : www.sociologie-cultures.com


Premier plan

D’abord un constat. Parmi tous les spectacles de la télé-réalité, celui de la Star Academy est celui qui capte le plus grand nombre d’adeptes. Même si l’on y pense, on est bien loin, dans ce drôle de jeu, de l’ancêtre bonhomme des radio-crochets où des débutants s’affrontaient sans renfort de mise en drame et sans grand décorum, en vue d’un éventuel contrat avec quelque maison de disques. Ici, on a monté les enchères, gonflé l’investissement et le suspens, on a fait sonner bien haut les trompettes de la renommée. Ici, on souhaite échauffer les esprits et les nerfs, car on souhaite gagner gros. Les maîtres d’œuvre et de profit se nomment TF1, Endemol, Universal. La mécanique est mondialement rodée. Par froid calcul sur l’irrésistible vertige des fascinations, elle a progressivement entraîné le public des très jeunes, puis des moins jeunes français et cela, depuis l’an 2000. Avec 8 millions 800 mille téléspectateurs déclarés par le juge Audimat, à l’occasion de la finale 2005, ce programme est en train de s’imposer comme la plus envahissante émission de variétés de l’écran, toutes chaînes confondues.

Lorsque l’on s’intéresse à la chanson et aux cultures populaires et que de multiples échos furieux, enthousiastes de ce ring-market des fantasmes à prétexte musical, finissent par bribes, à vous parvenir, il est alors difficile de faire la sourde oreille à ce qui, cette saison plus particulièrement, se révéla comme un véritable phénomène social où l’on y acheva bien… et le peuple et l’enchantement des chansons.



Répétitions

Depuis cinq ans déjà l’affaire se lance au début de l’automne, c’est le temps de l’école. Puis elle s’évanouit quand vient Noël, c’est le temps des vacances et d’un autre marché. Le scénario est stable, il s’ancre sur des émotions primitives et fortes : combat, manipulation, rumeurs, désir de l’idole que l’on adore, que l’on immole… Et l’engouement va crescendo jusqu’à l’élection du vainqueur, porté par les votes souverains et cher payés du public.

La recette paraît simple : d’abord mettre en vedette des professionnels branchés du show-biz, jouant les professeurs et conseilleurs mi-charmeurs, mi- pervers ; puis programmer du coaching en tout genre et faire défiler, à fin de sélection, devant cet aréopage d’experts musique et danse, une bande – se réduisant au fil des semaines - de jeunes amateurs de chansons et /ou de miroirs, fébriles élus d’un gigantesque casting et tous désireux de changer et de peau et de vie.

On les a isolé de tout contact avec l’extérieur, rassemblé dans un château d’où quiconque, supporter subjugué ou spectateur amusé, pourra observer - via Internet notamment – l’intégrale interminable de leurs apprentissages et de leurs humeurs. Ils ont accepté de quitter la foule des hommes pour entrer dans le cadre des images surexposées. Compétition, évaluation, cruauté, pressions, agressions, dépressions assurées. Aux marches de Larmes-mary-les-Leurres, le vieux destin s’amuse et se relooke. Le face à face anecdotique des geôliers affables et des prisonniers volontaires se livre à caméras et micros ouverts, par feuilletons journaliers, à épisodes répétés. Les uns ont rêvé. Les autres ont compté. Tout fut calculé. Et pourtant Magalie vint…



L’imprévue 

Dix-huit ans, pas très grande, une silhouette lourde peu susceptible d’entrer dans une gamme de vêtements pour Lolita, des yeux enfantins ; une jeune fille issue d’une famille apparemment très modeste, vivant dans une petite commune du Val d’Oise ; un plaisir spontané de chanter d’une voix puissante, des airs connus de la variété française : Magalie n’avait rien, croyait-on, d’une vedette potentielle, même éphémère. Mais de semaine en semaine, elle imposa sur les écrans « de chaque quotidienne », sa résistance muette aux remarques malveillantes, sa simplicité nourrie à la fois d’une détermination farouche et d’une grande timidité, et puis, elle imposa cette force abrupte de sa voix… Elle a du coffre la petite

Le propos commença à circuler dans les familles, entre voisins. Et je fus d’abord alertée par cette rumeur commune de l’enthousiasme immédiat, glissée au fil des conversations. Elle avait touché un public populaire, déjà familier de ces Prime TF1 du vendredi soir. Elle remporta la victoire de ce cinquième marathon, avec à la clef, single dans l’année et gain substantiel en vue de la production d’un album sous contrat Universal.

Certes tout ceci serait bien anodin et ne mériterait pas que l’on s’y attarde, si ce n’était la violence de la polémique déclenchée dans la presse, sur les forums des internautes, parmi les protagonistes – côté production, côté réception - de l’émission, autour de la personne de Magalie, qui, dans la vague de son succès relatif, devint à son insu bien sûr, l’emblème d’affrontements sociaux dont la teneur et la brutalité ne portent guère à sourire.

Enseignant dans un cours de licence de sociologie sur la chanson et souhaitant donner des pistes à l’une de mes étudiantes engagée dans une enquête sur le phénomène Star Ac, je voulus me rendre compte de visu de quelles informations elle pouvait disposer pour mener à bien son travail. Tout de suite, les forums des internautes et plus particulièrement celui du site TF1, m’apparurent être des outils du plus grand intérêt pour cerner ces transes identificatoires circulant entre les adolescents et leur héros d’une saison.

Mais c’est bien autre chose que je découvris dans mon parcours, d’abord distrait, et finalement de plus en plus systématique, de ces échanges sur toile.  L’enjeu n’était pas habituel. Attaques, défenses, injures dépassaient la banale querelle des fans autour de leurs élus respectifs. Ce qui s’échangeait là au travers et au-delà de Magalie l’intruse, se donnait à lire sans peine, comme symptôme du malaise profond d’une société, comme symptôme d’une course déjà bien engagée et cela sur tous les fronts, à la désymbolisation du populaire, mais qui se heurtait en retour (chose nouvelle et pluri-générationnelle) à la réaction vive d’une lutte sans complexe contre une telle pente de stigmatisation.



De la contradiction

Mine dépitée de l’équipe des coachs, étrange focalisation des images sur Magalie mangeant, dormant tandis que les autres candidats s’affichaient tout occupés à leur art ou bien à leur vague à l’âme du moment.  Même si un zest de traitement inégal des postulants ne peut qu’attiser l’audience et embraser le chœur des supporters, trop d’inégalité en vient à semer le doute. Des internautes commencèrent à faire entendre leurs critiques, puis crièrent à l’injustice. Je devins spectatrice quasi régulière de cette joute à multiples facettes
[1] et me fis investigatrice assidue de ses rouages à travers tous les supports accessibles des vidéos, des séquences TV, des posts ; ces derniers se livrant comme de véritables sismographes[2] d’une réactivité à fleur de peau.

Même flagrante, la manipulation des émotions s’avère profondément efficace. Tout s’enchaîne dans un chassé-croisé troublant de mensonges et de révélations. Spectateurs et acteurs, tous savent que les dés sont pipés, tout le monde fait semblant et tout le monde y croit. Marionnettes et marionnettistes ont ici partie liée, chacun ruse avec son rôle, car les uns et les autres sont bel et bien personnages d’un engrenage spectaculaire sans auteur, d’un roman-télé sans alternative dont le culte planétaire les dépasse. Mais au gré de ces tours de passe - passe où le rêve s’enlise, dans cette triste ronde des masques au service du divertissement à tout prix, nul n’est finalement assuré d’être le véritable maître du jeu : celui qui tiendrait en main tous les pions et actionnerait tous les fils. Pourtant, chacun à son tour, croit pouvoir mener la danse : les candidats s’acharnent, les fans se mobilisent, les esprits critiques déjouent les pièges, les professeurs encadrent, les spectateurs s’amusent, la chaîne remporte la mise. Je perds, tu gagnes, il gagne, vous perdez, nous gagnons … c’est selon qui joue et jauge les joueurs. Et les passions vont leur chemin … Là n’est pas la moindre des contradictions que j’observais d’abord en ma propre personne et selon l’optique d’une observation participante.

Vraiment, je n’avais auparavant jamais suivi ce programme puisque j’aimais la chanson dans la vie, pour la vie … et que, bien éloignée des a priori de l’intelligentsia française à son sujet, j’en avais même fait, depuis plusieurs années, mon objet de recherche. Vraiment, toutes les raisons de principe et de cœur me portaient à condamner cette grossière instrumentation de l’énergie adolescente - de jeunes gens pour l’essentiel de familles populaires - cherchant à se faire entendre ; toutes les raisons me portaient à rejeter cette clinquante impasse des illusions naissantes, à dénoncer ce fast-food de la chanson-challenge nécessairement dénuée
[3], par tout cet imbroglio du match –show, de tout écho intérieur : souffle intime du lyrisme des amours et des deuils, souffle épique des engagements les plus périlleux et les plus tenaces. Et malgré cela, je fus emportée par la colère collective qui hissa Magalie (bonne débutante, par ailleurs) à la première place. Je votais pour elle et je fis voter mon entourage. Victoire réaffirmée du marketing médiatique, du modus operandi du réalisateur Endemol pourrait-on dire[4] ? Ou bien victoire  déroutante du grain de sable qui enraye la machine ? Victoire du processus ou victoire critique de l’événement ? Le résultat, s’il faut parler en ces termes, est sans doute totalement ambivalent. Il nous rappelle modestement à la contradiction présente en toute chose, au paradoxe tangible dont se nourrit toute réalité, à l’attention que l’on doit lui porter avant de juger trop vite ou de conclure péremptoirement.

Que s’était-il passé ? Quelque chose d’important : un retournement de l’opinion contre la dictature de la « branchitude », un désaveu radical du monopole oligarchique du bel et du bon, un désaveu radical « du tout conforme » hyper ou néo-bourgeois, la mobilisation d’un démos discrédité
[5] par les formatages en tous genres, imposés par les élites mondialisées. Oui, ce petit fait condensa de façon inattendue, beaucoup de solidarité et de révolte. Ce n’était pas de la politique, bien sûr, mais une décision du grand nombre, une décision diffuse, inébranlable de faire  face à l’intolérable disqualification dont était victime la plus décalée des candidates qui chantait bien, mais « riait trop fort ou  trop souvent, qui ne soignait pas assez son image », et autres broutilles importantes aux yeux des juges en art de la représentation.

Mais la foule des gens l’avait reconnue, elle était des leurs, cette jeune candidate sans apprêt, qui chantait en amateur depuis l’enfance, ils allaient montrer leur puissance
[6]. Quatre fois les experts tentèrent de la mettre hors jeu, quatre fois les votants la remirent en piste. Jamais une telle obstination n’avait eu lieu, ce qui me fut confirmé par un journaliste de presse régionale, par des discussions impromptues auprès de mon entourage familial large et par de courts sondages réalisés auprès de mon entourage professionnel mis à contribution d’enquête. S’il fallait donc raisonner en termes de CSP (même si la question ne se situe plus du tout à ce niveau), la palette des témoins s’avérerait finalement bien composite, rassemblant des salariés, d’âges, d’horizons très variés. Le peuple qui s’affirmait en cette occurrence, n’était donc pas nécessairement celui dit « d’en bas », si d’ailleurs, cette expression contient une quelconque pertinence et si l’on peut, à fin de réfutation au moins, pour un instant seulement, en utiliser la trompeuse facilité et l’imagerie douteuse.

L’embarras des décideurs, sous l’œil des caméras, était palpable ; certains allèrent même jusqu’à perdre leur sang froid, jusqu’à déclarer, à l’antenne, leur mépris pour le vote du public et pour la popularité acquise de cette jeune fille. On a parlé de « fracture sociale », elle s’affichait sans ménagement en direct ; décidément la vulgarité n’était là où l’on se plaisait à la désigner … et désormais, tout masque de légèreté, tout alibi de futilité étaient devenus vains en cette cinquième chasse aux jeunes talents. Le climat alla s’alourdissant à Drame-mary-les-Loups. Car trois mois après le début de l’émission, au sortir de la « demi-finale filles », l’enjeu sociétal de ce divertissement ne faisait plus aucun doute. Si des journalistes prirent bien individuellement, la mesure du phénomène, la presse nationale ne lui consacra aucun papier, à l’exception notable de Marianne, toutefois. A la « une » des magazines Télé Star et Télé 7 Jours, pas question de Magalie ; bizarrement c’étaient les lauréates précédentes qui s’y retrouvaient anachroniquement mises à l’honneur.  Pourtant, c’est parallèlement et sous initiative de journaux en ligne que des articles commencèrent  à briser le silence. Magalie, la voix du peuple, a gagné la Star Academy titrait le site du journal Le Mague, de tonalité libertaire, au soir de la finale.

A partir de ce jour d’ailleurs, ceux qui s’étaient efforcés de nier ce surprenant et massif revirement de situation, s’efforcèrent au mieux de le ramener à la manifestation désuète d’une psychologie élémentaire : Magalie, princesse de la Star Ac et des mal-aimés, titrait le Monde le 18 décembre 2005
[7], insistant sur ce tournant dans la lutte contre le morphologiquement correct à la télévision. Les plus dépités continuèrent dans le déni de réalité, ils continuèrent à ne pas faire contre mauvaise fortune bon cœur, à ruminer l’impossible échec ; au premier rang de ceux-ci : l’animateur principal de l’émission dont les immenses ressources d’hypocrisie vinrent presque à manquer…

Même huit jours plus tard, à la veille du Noël 2005, lors d’un soudain programme - anniversaire des cinq ans de la star Ac, qui prenait, au regard des circonstances, une allure de rituel de réunification, avec hommage à tous les  vainqueurs, l’ambiance n’y était pas, n’y était plus. Malgré une tonitruante parade publicitaire en l’honneur de la plus grande émission de variété, reconnue comme telle par les pus grandes stars internationales, malgré un déversement inépuisable d’autosatisfaction, malgré une bonne volonté unanimiste à couper le souffle, l’aigreur était latente, apparaissait au détour d’un commentaire, sur les lignes des sourires crispés. Magalie chanta moins que les autres, apparut moins souvent à l’écran… et ne reçut que des compliments mitigés. Mais l’indésirée, sortie de l’isolement du château, avait sans doute été mise en garde… comme semble l’indiquer cet échange en cours d’émission.

D’abord, il y eut la demande de l’animateur tout miel, tout fiel :

- « Alors Magalie, tu sembles toute bizarre, tu as fait des drôles de choses, toute cette semaine , tu as répondu à des interviews, tu as fait des télés, çà doit te paraître bien étrange tout çà, à toi »

Et puis, il y eut la réponse très brève, de l’intéressée :

- Oui, j’ai fait des interviews, des télés, j’ai fait mon métier »


La timidité n’est pas sans épine … On enchaîne.


Alouette, gentille alouette…

On l’aura bien compris la reine de cette saison bousculait tous les plans et menaçait peut-être la poursuite de ce type d’opération show-biz, certes très juteux, mais finalement trop incertain. Des sites internautes firent même campagne pour le vote Magalie, à la seule fin revendiquée de faire échouer le système.

Le monde ne tournait plus rond et pourtant … c’est avec rage et minutie que toute l’équipe de la production et leurs sponsors cherchèrent à redresser la situation. Oui, il a fallu la violenter. Si nous ne lui avions pas donné un coup de pied au cul, elle n’aurait pas mérité de gagner. Magalie a vécu des moments très durs, c’est vrai, mais c’était le seul moyen de lui faire entendre les choses déclara non pas quelque tortionnaire un peu frustre, un peu beauf, au service des maîtres de chant et de ballet du château, mais la très respectable directrice de la Star Academy
[8], après le verdict des téléspectateurs.

Car c’est de la tête aux pieds, au propre comme au figuré que l’on tenta de contester, de reformer la lauréate. Tout en elle … tout son être, devint bon à jeter et ceci dans une montée en puissance du dénigrement, du harcèlement qui prit les allures très cool, très normalisé d’une barbarie - je pèse bien ce mot – d’une barbarie insidieuse, pour grande écoute, d’une barbarie modèle médiatisé, et par là même labellisé. Je fus soudain plus qu’indignée ; j’étais fortement bouleversée par ce passage actif et sans risque à un véritable racisme de classe, aurions-nous dit, en d’autres temps de pensée plus sainement, plus naturellement polémique et de disputatio intellectuellement requise.

On peut déceler les indices d’une telle réalité en se référant à l’éphéméride du site officiel TF1 de la Star Ac 2005, dont j’ai, au fur et à mesure, imprimé quelques extraits. Heureuse précaution, puisqu’au lendemain même de la finale, tout en un instant, s’effaça. Pas d’archive, à peine un souvenir, c’est mieux. Ici comme ailleurs, l’affairiste, l’aventurier sait bien que s’il n’ y a plus de trace, il n’y a plus de forfait. D’ailleurs, cette immédiate table rase de l’hier, contient toujours - même si, surtout si argument pratique et utopie technologique obligent - une sourde menace de décérébration, d’asservissement et d’inhumanité.

La chronique de ces messages internautes, toujours dans le fil du feuilleton journalier des faits et gestes « des élèves » co-détenus, toujours dans le fil des remarques des « professeurs » co-visiteurs, nous révèlent une bonne image de cette escalade des attaques contre la lauréate, alimentée à cet incessant et aliénant miroir entre détracteurs voyeurs et paroles d’experts surexposés.

D’abord, il y eut ce leitmotiv autour de sa surcharge pondérale dont l’obsession cachait à l’évidence bien autre chose. Cela commença d’ailleurs, de façon, certes tyrannique, par l’imposition d’un régime plutôt sévère (10kgs, en à peine trois mois) mais de façon finalement peu scandaleuse … même si rétrospectivement, on a bien du mal à comprendre cette rude mise à l’épreuve initiale de celle dont le triomphe était a priori écarté.

Durant le premier mois, ce fut donc pour Magalie, le temps des rondeurs anodines. Sur le forum, que je regardais alors, il est vrai, de manière assez dilettante : quelques remarques aigres-douces des internautes, mais rien d’excessivement blessant. « Les professeurs » manifestaient encore à son égard, leur satisfaction devant son aisance rythmique, sa capacité à jouer de son surpoids comme d’un atout de séduction !

Et puis, tout commença à se gâter lors du premier suffrage sans équivoque des téléspectateurs en faveur de sa sélection pour la tournée du Printemps 2006. Si l’impensable pouvait devenir réalité, il fallait changer de ton et vite. Finies les rondeurs anodines, ces formes devaient être désignées comme choses inconvenantes, comme état inacceptable, comme atteinte au bon goût des professionnels, des promoteurs, de la jeunesse consommatrice de CD ; et cela fut fait sans le moindre ménagement.

Ce ne fut bien sûr, plus seulement le poids – argument plutôt faible - qui fut mis en avant, mais ce fut tout son corps, toute sa présence physique qui furent passés au crible et mis au passif d’une disgrâce sans rémission. Il y eut ses cheveux :
trop longs, trop courts, trop peu soignés, ses brushing de mémère[9]. Il y eut sa bouche qu’elle tenait souvent de travers, en se mordant les lèvres. Il y eut son rire : ah ciel ! Son rire, trop fréquent, trop enfantin, trop niais - sans doute était-il surtout, très défensif dans la situation où elle était mise. Nous n’étions pas loin du délit de faciès. Il y eut aussi sa démarche, puis sa tenue, sa façon de s’asseoir vautrée sur le sofa, son dos relâché, ses jambes écartées. Il y eut son absence de féminité, son inconcevable refus du maquillage ; il y eut ses vêtements ringards ; il n’est pas jusqu’à sa pudeur, jusqu’à son hygiène même (prenait-elle bien une douche par jour?) qui ne furent attaqués et tout cela, juste avant la mise en cause de son manque d’instruction, juste avant la mise en cause de la pauvreté de sa culture et de son esprit, toujours soulignée sur le forum officiel Star Ac de TF1,  doté d’un soi-disant modérateur, ce que la censure de mes propres messages me permit d’ailleurs de constater !

Ceci mérite un petit intermède en forme de comptine du répertoire traditionnel, en forme de chanson dite d’enfance, interprétée en 1936 par Yvonne Marsay, par Patachou en 1950, par Mathé Altéry en 1959, René-Louis Lafforgue en 1962, Claude Lombard en 1991, et par d’autres encore …


Alouette, je te plumerai (refrain)
Je te plumerai les pattes (bis)
Et les pattes (bis)
Et le dos (bis)
Et les ailes (bis)
Et le cou (bis)
Et les yeux (bis)
Et le bec (bis)
Et la tête (bis)
Alouette (bis)
Ah !

Je ne prendrai que quelques exemples de cet acharnement, c’est à dire une gamme de mails choisis parmi les moins hargneux :

- Posté le 11/12/ 2005


Pourquoi ne pas essayer de lui apprendre quelques règles de bonne tenue ? Comme ne pas se faire les pieds pendant un débriefe, ne pas dire « je l’ai déjà » quand on vous fait un cadeau, ne pas être affalée à longueur de journée. Les bases quoi !


- Posté le 12/12/2005


C’est un gros bébé sans consistance qui n’a rien à apporter sauf qu’elle représente le physique de plus en plus de personne nourries Mac Do.


- Posté le 13/12/2005


Bonjour, j’ai vu que Magalie était en première SMS alors qu’elle a 18 ans ce qui lui fait un an de retard, quelle en est la raison ? J’ai également constaté qu’elle semblait « simplet »
. J’aimerai avoir votre avis en n’espérant avoir blessé personne ( !).

- Posté le 14/12/ 2005


Que voulez-vous, il y a un problème de niveau intellectuel. Le chant, c’est bien, mais l’instruction est nécessaire. Quand on voit Magalie dans l’impossibilité de bafouiller un mot d’Anglais
(celle-ci chanta tout de même en direct Cabaret avec Liza Minnelli) on peut s’interroger… Au moins d’autres candidats éliminés parlaient anglais couramment. Quand on parle de médiocrité de la France, il ne faut pas chercher comment on arrive à des finales de ce genre. Pauvre France, la décadence est en route;

Cette fois, cette salve indigne de propos méprisants touchant à sa personnalité tout entière firent leur apparition juste avant la finale. On était passé - régression sans frein dans la haine oblige - du rabaissement du corps au rabaissement de la sensibilité et de l’âme. Je n’en reviens pas encore que vous avez pu voter pour elle, elle n’a rien, à part une belle voix ( !), elle est nulle, aucune émotion, elle ne sait pas bouger comme il faut, c’est moche. Pitoyable, on préfère faire gagner quelqu’un
parce qu’elle est commune[10]. On se gaussa sans aucune gêne de cette absence de classe et d’éducation dont elle manifestait toutes les tares.

L’imminence du probable succès de Magalie avait déchaîné une atmosphère de lynchage que l’anonymat bien confortable des posts encourageait (e
nvisager un duo avec Maria Carey, non, c’est la belle et la bête, c’est du social à ce niveau[11]) et que les supporters de Magalie avait tout de même du mal à endiguer. Le respect vous connaissez ??? Certaines personnes sont insolentes, médisantes envers Magalie, foutez-lui la paix et remettez-vous un peu en question. Vous devriez avoir honte, mais il faut de l’esprit pour avoir honte. Magalie est une fille bien dans tous les sens du terme et une artiste pleine de talent contrairement à d’autres qui n’ont qu’un physique et encore… posté par un fan le 12/12/2005.

Il est vrai que les coachs n’avaient pas ménagé leurs efforts.
Elle n’avait plus de rythme, elle n’avait pas d’univers artistique[12] ( sa connaissance du répertoire de la variété française était désormais devenue un marqueur culturel négatif, un simple signe du fait qu’elle possédait une voix et une bonne mémoire !), elle n’avait pas de charisme (professeurs et internautes devraient se mettre au point sur la définition de charisme, cela éviterait bien des paroles inutiles). Elle ressemblait à toutes les nanas des boîtes de nuit, bougeant sans ressentir la musique, elle s’éclatait sur la musique comme n’importe quelle Madame Michu, elle n’avait rien d’une meneuse ; sur scène, elle ne prenait pas le pouvoir, et qui plus est, elle marchait comme un camionneur lui avait déclaré en face et en vrac la maîtresse d’expression scénique, à la suite de sa victoire en demi-finale.

Tandis que le prof de sport, au comble de la remise aux normes bon enfant,  lui réapprenait, tout simplement, en séances particulières, lui réapprenait … à marcher, à assouplir ses chevilles et à modifier son pas. Si l’art est un long cheminement qui nécessite un dialogue permanent, exigeant de soi à soi, il est certain qu’il ne pourra jamais éclore dans un camp de rééducation. Mais cette nervosité de l’encadrement trouva bien évidemment son écho moralisateur amplifié sur le forum :

- Posté le 10/12 /2005


Les images de ce matin sont très parlantes, l’ambiance est morte, sans âme, molle, c’est le reflet des finalistes, que l’on retrouvera cet été en pleine tournée des camping et que vous pourrez sans doute voir gratuitement l’an prochain, pour l’anniversaire d’une grande surface près de chez vous.


- Posté le 12/12 /2005


Pour moi une artiste doit avoir de la voix ou du moins une voix mais aussi un certain charisme. Pour la voix, elle nous a montré qu’elle pouvait rivaliser avec les meilleurs. Quant au charisme, je ne suis plus du tout d’accord… Je passe sur ses tenues vestimentaires ; du caleçon qui moule copieusement ses formes à ses décolletés quand ce n’est pas ses allées et venues en maillot de bain. Alors moi qui suis de la France d’en bas, je ne peux voter Magalie


Les profs vedettes avaient donné le feu vert, les plus cyniques ou les plus maladroits d’entre eux avaient exprimé leur  courroux contre un public inculte, l’hallali ne se fit pas attendre. Magalie devint alors pour quelque temps, l’emblème vilipendé de la basse classe, de la France ridicule,
de la France médiocre, de la France profonde, de tous ceux qui lui ressemblent et qui n’ont rien pour eux.[13]

Un internaute dans un message du 11 décembre,  posa alors la question en ses termes : L’an dernier personne ne s’est offusqué de la victoire de Grégory. Qu’avait-il de plus ? Rien ! Alors pourquoi cette année, ces réactions, Magalie n’est-elle pas politiquement correcte ?  Les échanges changeaient de terrain : c’étaient les français du non au référendum concernant la constitution européenne qui avaient soutenu Magalie. Après chaque suffrage en sa faveur, l’argument fut systématiquement repris. De curieux dialogues occupèrent alors l’espace du forum :


- Je suis un mélomane, j’aime la musique classique, les variétés également, j’ai voté pour Magalie, je fais partie de la France profonde et j’en suis heureux.

- En plus de ne pas avoir de tenue, elle ne sait pas s’exprimer et c’est ça le choix des français du bas fond.

- Bas- fond, il y a donc des sous-mains ? La France d’en bas en quelque sorte ???!!! Tiens cela me rappelle quelque chose ! Je me sens de la classe moyenne et je dis : Bravo Magalie, la grande classe !

- Il faudrait arrêter de mettre tout le monde dans le même panier, moi je suis de la bonne société et je vote Magalie.


Au-delà de la critique des règles du jeu laissant le choix conclusif au public, c’est – aboutissement logique, idéologique d’une courbe d’effacement du populaire - la contestation du vote souverain, du vote démocratique qui se dévoilait sans fard à l’occasion anecdotique d’un bénin divertissement de masse. L’émission en son principe en « appelait » avec coups de fil surtaxés, au peuple des acheteurs de CD et consommateurs de concerts, elle aiguisait soudain l’effervescence d’un peuple politique. Comme le fit remarquer a posteriori la directrice Alexia la Roche Joubert,
Magalie a déclenché un phénomène d’identification[14], dépassant le simple cadre musical !

Quand je parlais précédemment de barbarie sournoise, j’ajouterai même que ce fait divers de la Star Ac 2005, montre combien le peuple ici et maintenant est devenu cet étrange étranger, cet ennemi intérieur du pays. Il est à la fois honte de l’autre et honte de soi. Il se manifeste là - via une scène politique, médiatique, experte et toujours bien-pensante - une sorte de xénophobie renversée qui n’est pas moins grave que celle s’exerçant à l’égard de ceux venus d’ailleurs. Tandis que Magalie chantait, Argenteuil et bien d’autres banlieues urbaines s’enflammaient…

Après les insultes au corps, au faciès, à la vacuité de l’émotion et de l’intellect, ce furent toutes les pratiques « historiques » de la culture populaire : les bals musette, ceux du samedi soir, les campings, les réunions familiales du mariage, celles des baptêmes, les fêtes foraines, les foires qui furent, sur le ton du crachat préalable, associés à ses ambitions et à son goût de chanter. Et pour ne rien oublier dans l’escalade à la bêtise et au rejet, on prit soin de la dénommer, elle et ses proches, sous les pseudonymes de personnages, devenus lieux communs risibles de la caricature des pauvres types, ces autres que soi, bien sûr… Les posts, toujours les posts (ô mélange pervers de la fine technologie et de l’archaïque instinct de destruction) invoquèrent Les Michus présidents, parlèrent de la finale des Bidochon, et dans la famille Groseille, demandèrent la fille, tous très satisfaits de leur humour !

Pendant ce temps les supporters de Magalie commencèrent à l’évoquer comme leur fauvette des faubourgs ; certains reparlèrent de Piaf, réclamaient qu’elle puisse enfin interpréter seule, une chanson classique de ce répertoire. Magalie n’en eut jamais le loisir. Mais elle devenait au fil des semaines et des épreuves, l’héroïne de valeurs fortes :
Merci à elle pour son talent, les émotions qu’elle fait passer dans sa voix, sa modestie, son courage, son abnégation, pour sa chaleur humaine, pour ses yeux qui brillent, pour son rire qui donne envie d’être son amie, pour tout ce qu’elle est dans ce monde de brute[15]. Les défauts devenaient ressources. Dans l’affrontement social et culturel, une histoire d’amour - une brève, une longue ? - naissait…



Match Point

Aux lendemains de la finale, un nouveau climat s’amorça à grand peine. Il fallait dans l’urgence trouver des explications à ce regrettable triomphe ; il fallait proposer rapidement un sens inoffensif à cette obstination populaire face à des décisions managériales jugées injustes et brutales. En jouant à l’apprenti sorcier, en jouant sur toutes les confusions entre l’intime et le public, sur les brouillages entre la fiction et le vrai, en comptant sur une sollicitation permanente des motifs passionnels, le  principe de la télé-réalité n’avait-il trouvé ses limites ? Magalie en réintroduisant à la fois une dramaturgie et un réalisme, n’avait-elle pas pris de court de tels dispositifs, certes puissants,  mais non destinés à affronter ces explosions du réel ? Après tant de patentes dissensions, il fallait précipitamment restaurer de la valeur à la lauréate, fonder la justesse de son triomphe et tout bonnement susciter un désir de vénération de l’élue. Il fallait retrouver la paix calculée d’une consommation bien orientée, l’objectif de la vente de l’album était désormais l’un des seuls à considérer. L’opération était délicate…

Cela démarra très mal, dans le fil idéologique des critiques antérieures à la victoire, sur le thème de l’identification victimaire. On passa de la médisance au regard apitoyé, la différence d’ailleurs n’était pas vraiment sensible. La journaliste Geneviève Petit
[16], ayant écrit sur Star Academy, donna la note. Elle précisa bien que selon elle, Magalie ne devait pas rester jusqu’au bout pour Endemot[17]
en témoignait son  faible taux d’exposition à l’antenne, les plans répétés sur ses temps d’inactivité, l’imposition de chorégraphies ne ménageant pas son souffle, le décalage d’épreuves et de difficultés techniques en sa défaveur par rapport aux autres candidates, lors de la demi-finale. Sa conclusion était très nette : Elle a bénéficié du vote identitaire des gens de forte corpulence, mais aussi de tous eux qui se sentent maltraités.

Oui, c’est çà, les mal-aimés, ceux qui ne s’assument pas, les loosers toutes catégories : on tenait là une bonne raison explicative, un peu fatiguée certes, mais d’usage simple en toutes circonstances mondaines. La présidente d’une association d’obèses que l’on fit immédiatement entrer en piste, alla même plus loin : toutes les adolescentes qui se sentent pas bien dans leur peau ont voté pour elle, qu’elles aient un problème de poids ou un simple bouton sur le nez… Quand une émission sélectionne un beur, un noir ou une petite grosse, c’est d’abord un moyen de se donner bonne conscience. Je ne suis ni pour, ni contre ces quotas, j’attends seulement de voir quelle suite sera donnée. Je suis convaincue qu’Endemol est dans la panade, car les retombées en matière de produits dérivés risquent de ne pas être très importantes avec Magalie. Que vont-ils arriver à vendre, à part des crèmes amaigrissantes ?

Toutefois, la version s’officialisant de ce vote des ratés, des paumés, presque tous sortis de la cour des miracles, ne redorait pas le blason de Magalie. Les managers reprirent alors la main. Le Parisien affirma que la jeune fille n’avait rien d’une erreur de casting. Pascal Nègre dans ce même journal, expliqua, le Mardi 20 Décembre 2005, que c’est la meilleure qui l’avait  emporté, qu’elle avait touché le public, qu’elle avait ce petit quelque chose en plus qu’il avait déjà remarqué dès les premières auditions, qu’il dirigeait une maison de disques, pas l’agence Elite, qu’il ne fallait pas tout mélanger, que tout s’annonçait bien avec Rick Allison (producteur de Lara Fabian) qui s’était engagé à faire une grande partie de son album.

Dans La vie des médias, sur canal+, le 27 Décembre 2005, un journaliste se plaçant sur un autre plan, chercha peut-être à rectifier la maladresse de certains propos, à camoufler la mascarade des volte-face les plus éhontés, tandis qu’il ramenait également les enjeux du conflit révélé, sous un mode mineur, à une caractéristique nationale déjà bien éprouvée : Magalie, c’est une fille de la rue, tous les grands succès des chanteurs populaires en France, commencent avec des gens de la rue. C’est normal, ils l’ont élue, elle leur ressemble, c’est une fille de la rue. Regardez Piaf et bien d’autres. On va lui donner de bons titres, comme à Mireille Mathieu, comme à Chimène Badi, elles réussissent avec des Pygmalion autoritaires. C’est ce qu va lui arriver. O, va lui dire Magalie, chante et tais-toi.

Et la trêve des fêtes de fin d’année, à bon escient, vint. Le forum TF1 fut, le temps que le soleil ne reprenne sa course, à nouveau ouvert aux fans enthousiastes, aux détracteurs moins virulents. Il faut peut-être arrêter les critiques et regarder vers l’avenir. Pourquoi ne pas souhaiter une bonne chose à la gagnante ? Heureusement dans plusieurs revues, on positive et on reconnaît les mérites de Magalie. J’ai aussi admiré ses superbes photos qui, pour une fois, mettent Magalie en valeur (Posté le 23/12/05).

La tentative de réparation de la mésaventure médiatique était en marche. Magalie avait eu droit à ses images magnifiées de star. Les échos des mécontentements de la foule s’affaiblissaient. Les familles préparaient Noël.


Vœux et controverses

Si j’ai souhaité décrire la chronique de ce divertissement télévisuel, c’est qu’il se présente bien comme effet loupe de symptômes sociétaux critiques : coupure majeure entre une oligarchie managériale en tous azimuts et le peuple et la multitude, détachement grandissant entre la culture signifiante et les chansons qui en sont pourtant un des humus les plus riches, enfermement d’une jeunesse dans des rêves bien précocement formatés. De plus, la liste n’est pas close…

Reste, dans l’esprit de cette observation participante, parvenue à l’épilogue de ce sommaire itinéraire d’intervention sociologique, reste à souhaiter à Magalie, à peine éclose, qu’elle ait dans quelques années, la force de sortir du cadre et qui sait, de renouer avec ce goût des chansons ordinaires et extraordinaires tout à la fois, qui parlent à tous, qui donnent à imaginer ce qu’elles laissent entendre, ce que réalisèrent les plus grandes et les plus populaires des interprètes.




Enigme de la popularité au delà des calculs. Magalie, qui comme 41% des français - selon un récent sondage SOFRES - déclare aimer la chanson française, est là au bord de l’énigme. La chanson n’a jamais relevé dans notre histoire de la seule sphère du privé et des goûts individuels : elle participe aussi à l’histoire collective. C’est à travers elle que s’exprime « la voix publique ». Elle renvoie à la face cachée des mouvements collectifs, ou bien à ce qui, dans les évolutions sociales, révèle de l’air du temps[18].

Si écouter la chanson, livre quelque intuition de ces ravissements, mais aussi de ces failles, de ces épuisements, de ces défaites de l’être-ensemble dans les tournants des sociétés, la Star Ac qui ne parle certes qu’indirectement de chanson, réduite en ce cas, à un simple prétexte compétitif, toutefois ne nous fit-elle pas, à travers l’épisode Magalie, paradoxalement entrevoir quelque chose de ce genre ?



_________________________________

[1] Conflit de la production par rapport au choix du public,  public dénonçant les trucages, conflits des téléspectateurs entre eux, équipe des coachs coincée entre deux contraintes devenant  incompatibles celle du public et celle des investisseurs et Magalie au beau milieu de la mêlée ; Magali trop commune, trop forte, trop vocale, pas assez classe et surtout malmenée dans un chantage à « l’interprétation », à « l’artistique » dont ici personne n’a et n’eut jamais cure.
[2] Sismographe également d’une génération passée - dans un incroyable crépuscule de la langue - du texte au texto. Mais ceci est une autre histoire.
[3] Je ne parle pas ici des candidats, peut-être trop ambitieux, peut-être trop naïfs, mais forcés dans ce cadre, de s’adapter à cette conception de la chanson comme sport de combat.
[4] On peut en effet considérer que toute parole sur l’émission, en renforce la légitimité, ce qui coupe court à toute analyse. Mais il est vrai que la construction de ce type de spectacle reposant sur un incessant manège de dupes, le vertige d’une paranoïa de prévention peut vous prendre… Sur un blog- TV et sous le titre Srar Academy : la lourde victoire de Magalie Bonneau, Xavier Culot soutient après coup, qu’éventuellement TF1 aurait prémédité le triomphe de Magalie…
[5]Aux résultas immédiatement proclamés de la finale, j’appris dans le cadre de mon observation d’entourage que les familles s’étaient téléphonées pour partager cette explosion de joie du fameux  «on a gagné» et ce n’était ni les enfants ni les adolescents qui se portèrent porte-parole de la bonne nouvelle.
[6] Ce phénomène ne fut pas isolé au cadre national. En fait c’est à une généralisation de la contestation des experts que l’on assiste dans le cadre de ces grandes entreprises capitalistiques et médiatiques de formatage des produits culturels de masse. En Chine, la même chose s’est produit, cette année, dans le cadre d’un équivalent Star’ac (cf. Guy Sorman, L’année du coq, Chinois et rebelles, Fayard, Paris, 2006). Au lieu de nier toute existence de l’opinion publique comme s’acharne à le démontrer, une certaine sociologie qui souhaiterait être unique et qui tend, malgré ses revers, à se déclarer comme sociologie officielle, au lieu également de crier au populisme devant toute manifestation en nombre se détachant de  l’esprit évolutionniste affiché par les dispositifs du pouvoir, mieux vaudrait réfléchir à ce trait sociétal se mondialisant…
[7] « Qui aurait parié sur cette lycéenne aux formes rondes il y a quatre mois ? Certainement pas La production de l’émission de télé-réalité. Les téléspectateurs, eux, y ont cru : 57% des  suffrages exprimés par téléphone et SMS se sont reportés sur elle. C’est peu dire que Magalie a souffert pour emporter le million d’euros promis .Physiquement d’abord : les cours de gymnastique et de danse lui ont fait perdre une dizaine de kilos. Psychologiquement ensuite : tête de turc des professeurs, la chanteuse du Thillay a essuyé de nombreux reproches, notamment quand il lui fut reproché de ne pas posséder d’univers artistique ».  Extrait de l’article paru dans le journal  Le Monde.
[8] Propos cité dans l’article du Monde, paru dans l’édition du 18.12.05
[9]Tous les termes en italiques de ce paragraphe sont extraits, au sens et aux mots stricts, des messages des internautes échangeant sur le site officiel de la Star Academy 2005.
[10] Posté le 15 /12/ 2005
[11] Posté le 13/12/ 2005
[12] Les expressions en italiques de ce paragraphe-là, sont ceux des dits professeurs de la  Star Ac
[13] Expressions tirées des courriels  des 10, 17, 12, 15 et 17/12/ 2005.
[14] Chez un grand nombre de personnes qui ont du mal à s’assumer, précisait-elle, aveugle à toute interprétation autre que psychologique. Mais en ce cas, rien de différent par rapport aux années précédentes ; la télé-réalité repose toujours sur un guet-apens des identifications.
[15] Posté le 21/ 12/ 2005
[16] Geneviève Petit, La face cachée de la star Ac, Ed. Patrick Robin, 2005
[17]Les termes en italiques sont les termes exacts de G. Petit, repris dans l’article du Monde du 18/12/05. L’autre typographie condense l’esprit des propos énoncés.
[18] Extrait de Paul Garapon, Marc-Olivier Padis La chanson française à l’heure du monde in Revue Esprit, Juillet 1999

 


Joëlle DENIOT
Professeur de Sociologie à l'Université de Nantes,
membre nommée du CNU.
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